Une ascension fulgurante

 

La Dark Romance a été découverte par le grand public après la popularité de 50 nuances de Grey (E.L. James, 2012) et le film éponyme sorti en 2015 (Sam Taylor-Wood). Le genre est défini comme une sous-catégorie de la romance mais qui joue beaucoup sur les zones grises de l’emprise et du consentement.

 

Au début, la Dark Romance n’est quasiment disponible que grâce à l’auto-édition et le bouche-à-oreille. Issues de fanfictions et autres chroniques wattpad, les œuvres sont ensuite publiées par les autrices-mêmes, encouragées par le nombre de lectrices important (car oui, ce sont généralement des femmes). Ces auto-éditions sont ensuite rachetées par des maisons d’édition plus grandes qui rendent le genre plus accessible et promeuvent les différentes collections.

 

Aujourd’hui, en France, la Dark Romance, ce sont des millions de ventes comptabilisées. Si les livres, en soi, sont rarement mis en valeur en vitrine des librairies, ils sont pourtant parmi ceux qui se vendent le plus. Souvent en rupture de stock, c’est surtout le bouche-à-oreille adolescent qui en font des best-sellers. Alors qu’ils étaient disponibles il n’y a pas si longtemps gratuitement sur les Internets (notamment Wattpad), ils sont devenus une aubaine pour les éditeurs. Souvent constitués en collection et écrits à une vitesse éclair, ils sont très rentables.

 

Méfiez-vous de l’eau qui dort

 

Un genre littéraire à succès écrit par des femmes et pour des femmes. Au premier abord, c’est 100% fait pour nous. Mais voilà, quand on s’y penche d’un peu plus près, il y a quelques points qui ont particulièrement attiré notre attention.

En cherchant sur TikTok des recommandations de titres à se procurer, on est tombées sur plusieurs vidéos confondantes. De nombreux « Top 5 » des œuvres de dark romance les plus « intenses », les plus « hot » voire même « extrêmes ». Extrême ? Qu’est-ce qui peut mériter cette qualification dans une histoire d’amour ? Ce sont les résumés de certaines de ces œuvres qui ont fini par nous convaincre que c’était autre chose que des histoires d’amour.

 

Ainsi Captive de Sarah Rivens (Éd. Hlabs) s’était vendu à plus de 350 000 exemplaires en avril dernier après une publication en 2022, des chiffres impressionnants pour un livre dont le résumé contient ces mots : « Pour une raison obscure, il voue une haine viscérale à ces femmes. Un jeu dangereux s’installe alors entre eux, car Asher entend bien faire payer Ella, mais celle-ci ne compte pas céder… ». Un phénomène similaire pour L’Enlèvement de Anna Zaires publié par Mozaika Publications en 2015 avec un synopsis presque risible si ce n’était pas premier degré : « Désormais, je lui appartiens. J’appartiens à Julian. Un homme aussi impitoyable que beau. Un homme dont les caresses me consument. Un homme dont la tendresse me fait plus de mal que sa cruauté. »

 

On ne peut pas nier les progrès qui ont été faits ces dernières années en termes de débat public concernant les violences faites aux femmes et la libération de la parole sur certaines relations d’emprise, notamment dans le divertissement grâce à #MeToo. Cependant, on a l’impression de faire 3 pas en avant et 4 pas en arrière avec ce genre d’ouvrages. On a demandé à nos libraires de quartier de nous parler de ce genre mystérieux pour les non-initié·es.

 

On nous a confirmé ce qu’on avait déjà observé grâce à TikTok : le public de ces romans est assez jeune (autour des 12-14 ans) donc vulnérable et généralement vert concernant les questions sexuelles et relationnelles. Donc on commence à s’inquiéter un peu. Que racontent ces livres et pourquoi ont-ils un succès si fulgurant ?

 

Le crash test de la rédaction

 

Et comme on est jamais mieux servi·e que par soi-même, on a décidé de se lancer dans l’aventure et de découvrir par nous-mêmes une fiction de dark romance. Après quelques conseils, on s’est plongées dans Dark Romance (littéralement) publié en 2015 et écrit par Penelope Douglas, une autrice états-unienne célébrissime dans le genre.

 

On ne va pas se mentir, on a lu les 452 pages en quelques jours seulement. Et en refermant le livre, une seule réaction what-the-fuck ?

 

On vous lâche le petit pitch pour la vanne : « Michael Crist. Un nom qui fait frissonner chaque fille de notre petite communauté privilégiée de la côte Est. Moi comme les autres. Sauf que moi, ce n’est pas sa beauté à couper le souffle ou le fait qu’il soit riche et adulé qui me fascine - enfin, pas seulement. Non, moi, c’est la noirceur que je devine sous sa carapace dorée. La violence dans son regard noisette. (...) »

 

Vous sentez monter la moutarde ? Et bah vous n’allez pas être déçu·es. Sans trop s’attarder sur l’intrigue plutôt inexistante qui sert surtout de trame pour y caser des moments-clés et des scènes précises, on peut vous assurer que le livre n’est pas bien écrit. On voit définitivement la patte Wattpad (la wattpatte lol) avec une présence incessante de dialogues qui annoncent juste des vérités générales et des phrases « choc » qui tombent souvent à plat.

 

Mais au-delà du style qui, pourquoi pas, peut plaire et peut être une lecture facile, on a un gros souci avec ce roman. On ne sait pas ce qui est le pire entre une protagoniste féminine presque pas caractérisée (à la fin du roman, impossible de dire quels sont les goûts de Rika ou ces aspirations dans la vie si ce n’est séduire Michael -OK madame) ou bien la relation d’emprise et de violence qui unit le couple principal. Si on comprend dès le début qu’iels se vouent une fascination sans fin (on comprend pas vraiment pourquoi tellement l’un et l’autre ont l’air vides -m’enfin…) et là où elle est terrifiée par lui et accepte n’importe laquelle de ses propositions, lui la martyrise, lui parle mal et la gaslight à longueur de journée. Heureusement, à la fin, on comprend que tout s’explique. C’est parce qu’au fond de lui, il a de mauvaises relations avec son père qu’il est devenu archi toxique avec la fille qu’il désire. Bah bien sûr.

 

On s’attarde peu sur les scènes de sexe qui laissent vraiment peu de place à l’imagination et ne sont finalement qu’un cliché perpétuel des relations hétérosexuelles. Ce qui nous inquiète ici c’est plutôt le public pré-adolescent qui découvre les relations romantiques et sexuelles à travers ce prisme complètement déformé. Quand on sait qu’il existe des séries comme Sex Education ou Big Mouth c’est assez déprimant de savoir que ce genre de roman a un tel succès auprès de nos petites sœurs. Plus que jamais, n’oublions pas de parler de consentement et de relations saines autour de nous, on ne sait jamais qui a besoin de l’entendre.